30/10/2025

IA et RGPD : comprendre la synergie réglementaire pour les entreprises digitales françaises

Contexte : l’accélération réglementaire autour de l’IA et de la data en Europe

Les entreprises françaises du numérique naviguent aujourd’hui sur une mer où l’usage de la donnée et de l’intelligence artificielle (IA) est central… mais aussi très surveillé. Si le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) posait déjà des bases strictes de traitement des données personnelles, le nouveau AI Act européen vient ajouter une couche réglementaire spécifique à l’IA. Ce n’est pas une redite mais un complément stratégique, qui va redessiner la conformité digitale.

Avec 90 % des responsables français du digital jugeant que la régulation de l’IA aura un impact significatif sur leur business d’ici 2026 (source : EY France, 2023), le sujet est loin d’être anodin.

Le RGPD : pierre angulaire, mais insuffisante face aux défis de l’IA

  • Objectif du RGPD : Garantir la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel. En vigueur depuis mai 2018, le RGPD pose des principes de licéité, loyauté, transparence, limitation des finalités, minimisation et sécurité.
  • Limite côté IA : Le RGPD ne traite pas directement certaines problématiques propres à l’IA : traitements totalement automatisés, opacité des algorithmes (“black box”), risques d’amplification des biais ou encore manque d’explicabilité sur les décisions prises.

Un exemple concret : un moteur de recrutement basé sur l’IA, même si “RGPD compliant”, pouvait, jusqu’à présent, manquer de transparence sur les critères objectifs de sélection. Les personnes concernées avaient le droit de s’opposer au traitement, mais le recours restait difficile dès lors que l’IA rendait la décision moins lisible.

AI Act et autres lois européennes sur l’IA : des obligations inédites

Adopté en 2024, l’AI Act est le premier cadre réglementaire horizontal sur l’IA, à destination de tous les États membres. Il s’articule autour de quatre grands piliers :

  • La catégorisation des systèmes d’IA par niveau de risque (inacceptable, élevé, limité, minimal)
  • Des exigences renforcées pour les systèmes à haut risque (ex. : IA pour l’éducation ou le recrutement)
  • Obligations de transparence et d’information (les utilisateurs doivent être informés lorsqu’ils interagissent avec une IA)
  • Une gouvernance européenne et des sanctions dissuasives (jusqu’à 35 millions d’euros ou 7 % du chiffre d’affaires annuel mondial en cas d’infraction majeure)

L’AI Act s’applique à :

  • Toute organisation développant, déployant ou utilisant de l’IA dans l’UE, qu’elle soit basée ou non dans un pays membre.

Quelques chiffres et points clés à retenir :

  • Environ 20 % des entreprises françaises estiment aujourd’hui utiliser des solutions d’IA à haut risque (Sopra Steria, 2024).
  • Avec la généralisation de l’IA générative, la CNIL a reçu plus de 12 000 plaintes en 2023 (+30 % vs 2022) portant sur des décisions automatisées.
  • Le budget européen pour soutenir la régulation et l’innovation IA se monte à 1,65 milliard d’euros sur 5 ans (Commission européenne).

Synergies et ruptures : comment l’AI Act complète le RGPD

Côté entreprise, les deux cadres se rencontrent mais ne se superposent pas strictement.

  • Le RGPD touche au traitement des données personnelles.
  • L’AI Act porte sur la sécurité, la transparence, la gestion des risques liés à toute IA, y compris celle qui ne traite pas de données personnelles.

Points clés :

  1. Gouvernance renforcée : Les entreprises doivent mettre en place une double conformité – data + IA – souvent via des processus d’évaluation d’impact unifiés (étude d’impact RGPD + analyse de risque AI Act).
  2. Transparence accrue : Obligation d’expliquer, de documenter les choix algorithmiques, de fournir des informations claires aux utilisateurs. L’AI Act va plus loin que le RGPD, notamment sur la documentation technique (“conformity assessment”).
  3. Lutte contre les biais : Pendant que le RGPD met l’accent sur l’équité, l’AI Act introduit des vérifications proactives, notamment dans les IA utilisées pour le crédit, le recrutement, l’admission scolaire ou la justice.
  4. Droits des utilisateurs amplifiés : Le RGPD donne un droit d’opposition ; l’AI Act renforce le droit à l’explication, à la notification, à l’intervention humaine pour certaines décisions critiques.

Tableau récapitulatif des obligations croisée RGPD / AI Act

Obligation RGPD AI Act
Désignation d’un responsable DPO obligatoire pour certains traitements “AI Compliance Officer” recommandé pour IA à haut risque
Analyse d’impact PIA (Privacy Impact Assessment) obligatoire Risk Assessment obligatoire pour IA à haut risque
Transparence Droits d’accès, d’opposition, d’effacement Information sur le fonctionnement/décision IA, traçabilité
Lutte contre les biais Principe d’équité Tests de robustesse et mitigation proactive
Sanctions Jusqu’à 20 M€ ou 4 % du CA mondial Jusqu’à 35 M€ ou 7 % du CA mondial

Obligations concrètes pour une PME digitale française

Une PME gérant une plateforme HR tech, par exemple, devra :

  • Soumettre son outil d’IA de présélection à une évaluation des risques selon les critères AI Act
  • Mettre à jour sa politique de confidentialité et ses process d’explicabilité (informer l’utilisateur lorsqu’une IA influence la décision)
  • Effectuer un double audit de conformité (qui mobilisera probablement le DPO et un référent IA distinct)
  • Prévoir un processus d’intervention humaine pour toute décision supervisée par l’IA sur des sujets sensibles (ex. : rejet de candidature, score de crédit, etc.)
  • Documenter tous les tests, données d’apprentissage, limites techniques et mesures anti-biais

Plus qu’un simple “check-box”, il s’agit d’un véritable pilotage transversal, qui implique juridiques, techniques et managers métiers. Selon la CNIL, 52 % des PME françaises ne s’estiment “pas prêtes ou mal préparées” aux textes IA (enquête 2024).

Boîte à outils : comment anticiper et gérer la conformité RGPD + AI Act ?

  • Audit des flux de données et des usages IA : Cartographier les traitements, croiser les analyses d’impact RGPD/AI Act. Des solutions d’audit automatisé comme PrivacyEurope ou DataLegalDrive facilitent cette étape.
  • Veille et formation continue : Abonnez-vous aux newsletters spécialisées (LINC de la CNIL, Euractiv), investissez dans des MOOC thématiques (Coursera, OpenClassrooms) pour les équipes RH, tech et produit.
  • Politique d’IA éthique interne : Modèle recommandé par l’UE, qui précise les usages acceptés et exclus, les mécanismes de recours, les règles anti-biais. Un exemple : Danone a publié dès 2023 une charte IA claire, partagée par tous ses métiers (source : Usine Digitale).
  • Procédures d’explicabilité : Utilisez des outils comme LIME ou Shapley Explainer pour générer des explications compréhensibles.
  • Planification des tests anti-biais : Minimum trimestriels pour tout système à haut risque, avec archivage systématique des résultats.
  • Dialogue avec la CNIL et anticiper les contrôles : En 2023, la CNIL a intensifié les contrôles sectoriels sur les IA en santé, éducation, RH (source : CNIL rapport annuel 2023).

Focus sur les zones de friction et les conseils à suivre

  • La documentation continue : Une seule mise en conformité ponctuelle ne suffira pas : les IA apprenant en continu, la documentation doit évoluer en permanence. Programmez des points de revue mensuels.
  • Sous-traitants et solutions externalisées : Les entreprises recourant à des “IA-as-a-service” étrangères doivent exiger preuves de conformité, audits et clauses contractuelles RGPD/AI Act. Privilégiez les fournisseurs ayant obtenu des certifications européennes (exemple : référentiel SecNumCloud).
  • Dépenses : Attention, le coût de la conformité progresse : Forrester estime à +60 % l’augmentation des budgets privacy/IA pour les scale-ups françaises entre 2023 et 2026.
  • Gestion de la complexité juridique : Face à la multiplication des textes européens à horizon 2025 (DGA, DMA, DSA), mutualisez les ressources et envisagez une fonction “Head of Digital Compliance”.

Perspectives : vers une nouvelle culture digitale de la responsabilité

Alors que la France s’affirme parmi les cinq premiers pays européens en nombre de start-ups IA (France Digitale, 2024), la maîtrise de la conformité RGPD + AI Act devient un accélérateur stratégique. Au-delà des enjeux réglementaires, cette double exigence peut se transformer en avantage concurrentiel : meilleure confiance client, partenariats facilités et accès prioritaire aux marchés publics européens. Face à la rapidité de l’évolution technique, la régulation ne cherche plus à freiner, mais à mieux encadrer — l’un des chantiers phares à suivre en 2025 sera l’harmonisation de ces textes avec les standards internationaux (OCDE, Conseil de l’Europe), dans une logique d’ouverture mais aussi de souveraineté digitale pour les entreprises françaises.

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