13/08/2025

L’éthique numérique : enjeu stratégique ou effet de mode dans les entreprises digitales françaises ?

Pourquoi l’éthique numérique s’impose au cœur des préoccupations

Le numérique redéfinit nos façons de communiquer, de produire, de consommer. Mais il soulève aussi des questions inédites : collecte et exploitation des données, IA générative, surveillance, automatisation des embauches... En parallèle, la société française se montre de plus en plus attentive à la responsabilité numérique des entreprises. Un baromètre IFOP de 2023 indique que 78 % des Français jugent indispensable que les entreprises protègent leurs données personnelles, et plus de la moitié attendent des engagements clairs sur l’usage de l’intelligence artificielle (Source : IFOP, 2023).

  • Protection des données : entre RGPD et attentes croissantes des consommateurs
  • Développement lié à l’IA : automatisation, biais, explicabilité
  • Transparence : sur les algorithmes, la publicité, le tracking
  • Accessibilité : garantir l’accès des sites et apps à tous, y compris les publics fragiles

Dans la foulée du RGPD et de la Loi pour une République numérique, l’éthique se veut synonyme d’équité, de respect et de transparence. Le défi, désormais, n’est plus seulement réglementaire mais aussi sociétal et stratégique.

Du discours à l’action : quelle réalité pour les entreprises digitales françaises ?

Passer de la théorie à la pratique reste l’enjeu majeur. Selon l’étude “Digital Ethics” menée par l’Observatoire du Numérique (2022), 62 % des dirigeants de la tech française estiment que l’éthique numérique est un enjeu stratégique, mais seulement 28 % affirment avoir mis en place un programme structuré dédié à l’éthique. Le “gap” entre la prise de conscience et l’implémentation est donc considérable.

  • Startups : Elles affichent souvent une posture éthique dans leur communication, mais ont rarement les moyens de structurer des politiques RH, d’achat, ou de développement alignées avec l’éthique numérique.
  • Grands groupes : Orange, BNP Paribas ou encore Capgemini ont créé des chartes ou comités d’éthique depuis 2019, mais l’application au quotidien dépend fortement des filiales et des métiers.
  • ESN (Entreprises du service numérique) : Les grands cabinets de conseil IT comme Sopra Steria ou Atos investissent dans la sensibilisation interne, mais la déclinaison opérationnelle varie selon les projets et la pression des clients (Source : Le Monde Informatique).

La création récente du label “Numérique Responsable” par l’Agence LUCIE, ou de l’initiative “Digital ESG” portée par France Digitale, marque une évolution. Cependant, le processus de labellisation demeure essentiellement volontaire et parfois perçu comme un atout marketing plus qu’une vraie révolution interne.

Quels sont les axes principaux de l’éthique numérique en France ?

Loin d’être un concept flou, l’éthique numérique s’exprime dans des actions très concrètes. Focus sur les principaux piliers chez les acteurs français du digital.

1. Gouvernance et choix technologiques

  • Mise en place de comités d’éthique ou de référents déontologiques, notamment sur les sujets IA.
  • Audit et choix d’outils respectant la privacy by design et la sécurité des architectures.
  • Intégration de critères éthiques dès les phases de recrutement et de conception produit (privacy by default).

2. Droit des utilisateurs et transparence

  • Conception de tableaux de bord de gestion des cookies et de dashboards de gestion de consentements utilisateurs (exemple : Didomi, Axeptio, Cookiescript...)
  • Proposition systématique d’alternatives ou de parcours “opt-out” pour la mobilité des données (notamment avec la loi sur la portabilité, 2022).
  • Mise à disposition d’un point de contact DPO (Data Protection Officer) accessible et efficace.

3. Durabilité et impact environnemental

Selon un rapport de l’ADEME (2022), le numérique représente près de 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, et cette part pourrait doubler d’ici 2025. En France, la sobriété numérique devient donc une dimension clé de l’éthique digitale.

  • Eco-conception des sites web (choix serveurs, compression images, etc.)
  • Réduction des emails, meetings virtuels et cloud storage inutiles : des éco-gestes de plus en plus encouragés en entreprise.
  • Intégration de la notation “Ecoscore” sur les outils digitaux (ex : Bleu Blanc Tech, NumEco)

4. Accessibilité et inclusion

  • Respect des critères du Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) pour les sites publics, mais aussi privés (depuis 2020).
  • Conception d’interfaces adaptées à tous publics, avec des tests utilisateurs en situation de handicap.

L’accès au numérique inclusif progresse, mais seulement 14 % des sites e-commerce français analysés en 2023 respectent pleinement les critères AA du RGAA (Source : Access42).

Quels freins majeurs à la mise en œuvre effective de l’éthique numérique ?

Si le volontarisme progresse, il reste confronté à plusieurs blocages structurels :

  • Manque de compétences dédiées : L’éthique nécessite une approche pluridisciplinaire (juridique, technique, psychologique). Seule une minorité des entreprises a formé des référents, souvent sur la base du volontariat (Source : Syntec Numérique, 2023).
  • Poids des standards économiques : Les objectifs de rapidité de mise sur le marché supplantent trop souvent l’analyse éthique en phase de conception.
  • Manque d’outillage et de benchmarks : Les solutions et guides concrets manquent encore, même s’ils se développent (cf. les outils de la CNIL ou le guide de l’Afnor sur l’IA éthique, 2023).
  • Difficultés d’évaluation : Comment mesurer l’éthique d’un algorithme ? Les standards d’évaluation sont en cours de création, mais leur adoption reste hétérogène.

De vraies évolutions : tendances et bonnes pratiques qui s’installent

Malgré tout, la France se distingue par certaines initiatives structurantes :

  1. La mission “Ethique et Numérique” du Conseil National du Numérique a édité plusieurs rapports depuis 2020, suivis d’expérimentations pilotes dans des territoires et écoles d’ingénieurs.
  2. L’IA Act européen, qui s’applique dès 2024-2026, pousse les entreprises françaises à revoir le design et la documentation de leurs systèmes à base d’IA.
  3. Les “digital ethics labs” se multiplient (ex : chez Orange, Sorbonne, INRIA) pour mettre en débat les choix de développement et de marketing internes.
  4. L’augmentation du nombre de formations diplômantes sur l’éthique du numérique (Sciences Po, Toulouse Business School, ENS), intégrant les questions d’inclusion, de diversité et d’IA responsable.
  5. L’implication des associations et ONG (France Digitale, Electronic Frontier Foundation France, Privacy Tech) qui participent à l’élaboration de chartes, de guides et de labels grand public.

Côté outils, plusieurs plateformes et ressources françaises facilitent l’intégration de l’éthique dans les process digitaux :

  • EthikIA : auto-diagnostique de maturité éthique des projets IA (porté par INRIA, Université de Paris, financé par Bpifrance).
  • Guides pratiques RGPD de la CNIL : pour mettre en conformité simplement les sites et outils digitaux.
  • NumEco : checklist sur l’impact environnemental et la sobriété numérique pour tous les outils digitaux.
  • Diversidays / Les Décodeuses : ressources françaises sur l’inclusion des publics sous-représentés dans la tech.

Vers une attente sociétale plus forte et une régulation accrue

En 2024, l’éthique numérique n’est plus une option pour les entreprises digitales françaises : elle s’inscrit dans un double mouvement de contrainte réglementaire et de pression sociétale croissantes. Selon le baromètre 2023 du Conseil National du Numérique, “79 % des entreprises françaises anticipent une augmentation – et une diversification – des demandes de la part de leurs clients sur l’éthique numérique dans les deux prochaines années” (source : CNNUM, 2023).

Les prochaines étapes se dessinent autour de :

  • l’intelligibilité et la traçabilité des algorithmes
  • la mesure d’impact social et environnemental à large échelle
  • l’élaboration de référentiels communs et européens sur les critères d’éthique digitale
  • la formation continue de tous les profils en entreprise, pas uniquement des experts

Le label “Numérique Responsable”, la vague des “Chief Ethics Officers” ou encore l’IA Act européen forment les piliers d’une nouvelle époque où l’éthique numérique s’impose, sous peine de sanctions, de perte de confiance… et d’opportunités business.

L’éthique numérique, levier de compétitivité pour les entreprises françaises

Loin d’être un frein à l’innovation, l’éthique numérique devient même facteur de différenciation et d’attractivité. Un tiers des consommateurs français interrogés déclarent qu’ils quitteraient un service s’ils apprenaient un manquement éthique grave, que ce soit sur les données, l’inclusion, ou l’environnement (source : Baromètre Harris Interactive, 2023). Par ailleurs, les talents du secteur digital, très sollicités, privilégient désormais les entreprises affichant une politique éthique claire et concrète.

La France combine ainsi un cadre législatif strict, une société civile vigilante, et un tissu d’entreprises résolument en mouvement. C’est tout l’écosystème numérique français qui se structure, labellise et expérimente – pour faire de l’éthique non pas un argument de façade, mais une boussole stratégique sur le long terme.

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